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le blog insolite de Christian Godard
10 janvier 2013

HISTOIRE DE FAIRE LE POINT, 2

 

D'OÙ ON VIENT, DES FOIS, C'EST LOIN...

 

Du plus loin que je remonte en arrière, pour autant qu'on puisse remonter en arrière, je sais, parce qu'on me l'a dit, que j'ai toujours dessiné. Dès la plus petite enfance. Ma mère m'a raconté qu'un jour, mon père avait eu envie d'assister à un combat de boxe à l'Élysée-Montmartre, et nous y avait emmenés, avec moi dans les bras de maman. Je marchais à peine à ce qu'il paraît, et ne parlais pas encore. J'ai donc assisté au combat de boxe et, de retour à la maison, j'ai dessiné des personnages en fil de fer avec de grosses boules au bout des bras, qui se battaient. Pendant toute ma petite enfance, j'ai dessiné. Je n'étais pas habile, mais ce n'était pas ce qui comptait le plus. J'aimais ça, c'est tout. Mes parents m'ont regarder tenter de faire des bande dessinées, telles que je les voyais dans « O.K », ou « l'Intrépide », sans y prêter attention. Sans émettre la moindre curiosité. Ils devaient prendre ça pour une lubie, je ne sais pas. Il faut dire que je suis d'un milieu, disons... modeste. Chez moi, il n'y avait pas de livres. Plus tard, c'est moi qui en ai introduits. Beaucoup. Je les achetais toujours d'occasion, parce que c'était moins cher. Avec un petit peu d'argent que je carottais sur les sous qu'on me donnait pour faire les courses. Ça peut paraître bizarre mais c'est ainsi. Mon père était très cultivé, et ne lisait que le journal. L'Aurore. Pourtant, il savait plein de choses, et passait pour le plus intelligent de la famille. Le plus intelligent de cette famille-là, nombreuse, d'ailleurs. Il est vrai qu'il travaillait dans une entreprise de bâtiment et était capable de coucher sur le papier tous les gestes et tous les matériaux qu'il fallait assembler pour construire un immeuble, ou un pavillon. Ça s'appelle « métreur-vérificateur ». Quelque chose comme ingénieur, ou pas loin. Un technicien. Ne me demandez pas comment il avait appris, vu qu'il n'avait jamais été dans l'une de ces grandes écoles où on dispense le savoir. Où on a cette prétention-là, pour ceux qui ne sont pas fixés sur leur avenir. C'est une sécurité. Sans compter que jeune, autour de vingt ans, il avait fait « clown ». Pour de vrai, dans des salles de spectacle et des cinémas de quartier ou, à cette époque, il y avait souvent des attractions pendant l'entracte. Son nom de scène, c'était « l'inénarrable Tatave ». J'ai trouvé une carte postale, perdue entre des photos de famille accumulées dans un grand carton. C'est tout ce que je sais sur la question. Elle le représentait dans son costume de scène, avec un parapluie et un mouchoir. Pourquoi un mouchoir, va savoir. Il n'en a jamais parlé, à ma connaissance, et seule maman y a fait allusion, une fois. Il l'a tout de suite fait taire.

Elle n'était jamais contente, ma maman, car elle avait l'impression de vivre dans un « taudis » par manque d'argent et ne comprenait pas pourquoi, vu que mon père était très souvent sollicité par des entrepreneurs importants qui arrivaient à la maison le soir quand on était à table, pour lui proposer des emplois beaucoup plus grassement payés que le sien, et que mon père refusait systématiquement...

Le fait est que c'était un taudis, l'appartement de mon enfance... Évidemment, ce n'était pas un vrai taudis au sens littéral du terme, mais c'était ainsi que ma mère le qualifiait - ce qui ne l'empêchait pas d'avoir une femme de ménage. 

Une pierre d'évier dans la cuisine, dans laquelle il arrivait à mon père d'y pisser quand il avait trop picolé. Pas de vécé, sauf à l'extérieur loin dans la cour de l'immeuble...

  

la_cour

 

Pas de salle de bains, bien sûr, je me lavais sur la pierre d'évier. Oui, la même. Et, bien entendu, pas de livres. Maman n'arrivait pas à comprendre pourquoi on vivait dans un taudis alors que mon père passait le plus clair de son temps à installer des salles de bains chez les autres. Alors, moi, ben, je dessinais des bédés que je ne finissais jamais...

A seize ans, j'en ai eu marre d'entendre parler autour de moi du manque d'argent, et j'ai déclaré que je voulais quitter l'école pour aller travailler et rapporter une paye à ma mère. J'ai oublié de dire que j'étais un élève très doué. Longtemps classé premier, parfois deuxième. A cause d'un des autres élèves de ma classe, qui s'appelait Gasnier, et a fini chercheur au CNRS. L'un de mes professeurs avait demandé un jour à voir mes parents. Puis réitéré sa demande plusieurs fois, sans succès. Et, comme aucun ne daignait se déplacer, alors il était venu jusque chez nous, une certaine soirée. Il avait trouvé ma mère et avait insisté. « Vous savez, il est doué, votre fils, il faudra le pousser plus tard, car il a des possibilités ». Elle était restée coite. Le terme « pousser » l'avait désarçonnée. Pousser comment? En rentrant, mon père avait juste dit: « De quoi y's'mêle, celui-là? ». Le soir, quand il rentrait, souvent tard, il était toujours de mauvaise humeur et gueulait pour un oui ou pour un non. Je ne sais pas si c'était à cause du temps où il avait fait clown...

Un soir, suite à une discussion, il a poché l'œil de ma mère, je ne sais plus pourquoi. Heureusement, une voisine assistait à la scène, depuis l'entrée, et a coupé le courant au compteur, ce qui a stoppé net le pugilat. Et pourtant, ce n'était pas un mauvais homme, je le jure. Au bistrot, il savait s'y prendre pour faire rire tout le monde. Je l'ai vu faire. C'était un autre homme. Au cours de toute mon enfance, je n'ai reçu qu'une seule et unique fessée. J'en avais retiré la conviction qu'il fallait que je me méfie de cet étranger, et j'avais passé plusieurs heures à hoqueter. C'est lui que cela avait traumatisé durablement. Depuis, plus jamais un coup, même léger. Pas une claque. Ni une pichenette. Jamais. Gueuler et taper, c'est pas pareil. Ça n'empêche que j'en avais une trouille noire quand j'étais petit. Sans raison.

Non, il buvait un peu trop, c'est tout.

Moi, quand j'ai déclaré que je voulais travailler, il m'a seulement demandé ce que je voulais faire. Bien sûr, j'ai dit « Dessiner ». Je m'attendais à ce qu'il insiste pour que je revienne sur ma décision, et que je continue mes études, parce que les études j'aimais bien. Il s'est contenté de dire « Oui, bien sûr. Mais pour gagner ta vie? ».

Je n'ai pas parlé des Beaux-Arts dans lesquels j'avais été traîner. On y entrait comme dans un moulin et j'avais pu voir des adolescents peindre, modeler, sculpter, ou faire Dieu sait quoi. Au lieu de ça, j'ai répondu « Alors, si c'est pas pour dessiner, n'importe quoi d'autre! »...

Il m'a trouvé une place. Chez un chauffagiste-ramoneur, à l'autre bout de Paris, rue Jeanne d'Arc dans le 13ème arrondissement. Un ramoneur. L'entreprise Parolari, ma première place dans la vie active. J'y tapais à deux doigts des factures, et remettais tôt le matin leurs « feuilles de journée » aux ouvriers au nombre d'une dizaine.

Je n'ai pas connu mon grand-père paternel, et mon père ne l'a quasiment pas connu non plus, car il s'était fait tuer pendant la guerre de 14.

Tout le monde disait qu'il avait le sens de l'humour, mon père.

Et c'était vrai.

Au bistrot, uniquement.

Il est mort très tôt, à 56 ans, après avoir été opéré d'un cancer du larynx qui l'a définitivement amputé de sa voix à 46. Outre l'alcool, ça allait de pair avec trois paquets de clopes par jour. Un trou sous le menton, sans cordes vocales, pour gueuler, c'est pas pratique.

L'existence aussi, a le sens de l'humour, des fois.

 

Contrairement à ce qu'on pourrait penser à la lecture de ce qui précède, j'ai eu une enfance très heureuse. Extraordinairement libre, inventive et insouciante. Un jour, il faudra que j'essaie d'expliquer pourquoi, outre le fait que ma mère était un monstre de tendresse et de douceur...

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Commentaires
B
J'essaierai de repasser les plats.<br /> <br /> Merci Julien,<br /> <br /> <br /> <br /> ch
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J
La poésie de la rue;poétique de la vie.C'est si beau.Quelques lignes à peine et tout s'illumine,le bon comme le moins bon.<br /> <br /> On reprendrait volontiers un morceau de littérature.<br /> <br /> Merci.
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M
Merci pour ces confidences.<br /> <br /> Je ne peux que partager les propos de Frédéric quant à la "passion du récit".<br /> <br /> <br /> <br /> ;o)
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F
Merci pour ce partage, au style d'écriture très personnel, surprenant et très intéressant, en tout cas qui donne de la passion au récit.<br /> <br /> <br /> <br /> "L'existence aussi, a le sens de l'humour, des fois."<br /> <br /> <br /> <br /> oui, le "des fois" parle aussi du temps qu'il nous faut pour comprendre ou accepter ce "sens de l'humour"<br /> <br /> <br /> <br /> chaleureusement<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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