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le blog insolite de Christian Godard
16 mars 2013

QUELQUES COUVERTURES DE PILOTE...

Du temps de Jacquot le mousse avec GOSCINNY, puis de NORBERT ET KARI, seul...

 

La publication de la plupart des couvertures que j'ai réalisées pour le journal de Pilote me replonge dans cette situation qui annonçait grandement celle que nous vivons aujourd'hui, et au sommet de laquelle on retrouve un homme exceptionnel qui en est l'un des artisans majeurs: René GOSCINNY.

C'est très difficile de parler de René Goscinny.

Les événements, se déroulant avec une force inouïe et aveugle, en ont fait un génie, une sorte de surhomme. Surhomme de la bande dessinée peut-être, mais surhomme quand même. Un génie.

On ne parle pas de ces hommes qui ont fait l'Histoire sans s'exposer à la critique, à l'injustice, à l'envie, et ce, QUOI QU'ON EN DISE.

La prudence conseille qu'il faut admirer ou se taire.

 

Bon. Je le sais. Je vais quand même essayer de dire quelques mots. Ils seront forcément interprétés, déformés, incompris, mais tant pis. Ce n'était pas un surhomme à l'époque où je l'ai rencontré par hasard. Ca n'était qu'un homme comme les autres, et qui vivait difficilement de son métier. Rien de plus, rien de moins.

J'ai beaucoup aimé René Goscinny.

 

Pour de bon et pour tout un tas de bonnes raisons. 

 

La première fois que je l'ai rencontré, l'armée, qui m'avait enrôlé pendant huit mois pour faire l'imbécile en Algérie, venait de me recracher sur le carreau parisien, et j'étais bien embarrassé.

En partant, j'avais planté toutes mes collaborations, à l'improviste. On ne m'avait pas laissé le temps de faire autrement. A cette époque, je n'avais aucune ambition, et pas les moyens d'en avoir. Mais, par contre, j'avais beaucoup de travail. Aujourd'hui, on dirait "des petits boulots", mais plein.

Or, pendant mon absence, on m'avait remplacé,  partout.

L'une de ces collaborations consistait à animer deux petits personnages, "Benjamin et Benjamine", sur la 4ème de couve du journal du même nom, fondé par Jean Nohain, un ponte de la radio et de la télé.

C'est moi qui, le premier, les avais créés. J'achetai le journal, pour voir s'ils existaient toujours. Ils existaient toujours! Ils étaient à présent l'oeuvre de deux noms, dont l'un ne m'était pas inconnu: UDERZO pour le dessin, et un certain GOSCINNY pour le scénario. Goscinny, je ne connaissais pas. Par contre Uderzo, c'était mon dieu depuis TOUJOURS. Et quand je dis «mon dieu», ça n'est pas une habileté, une fioriture, une exagération due à l'alcool (je ne bois pas). Je collectionnais ses pages depuis ma plus tendre enfance depuis son "Clopinard", j'avais 12 ans. J'avais constitué des dossiers, classé ses pages qui venaient d'ici, de là, d'ailleurs. Je l'avais vu illustrer tout le dos de France-Dimanche avec des faits divers, imiter les Américains mais en mieux, faire la preuve qu'il pouvait se permettre de dessiner n'importe quoi mieux que les autres. Et, sous sa plume, mes pauvres Benjamin et Benjamine étaient devenus, comme par magie, de vrais personnages, modernes et performants, vivants, quoi.

Ce jour-là, bien que leur créateur, j'ai éprouvé probablement ce que Rob-Vel a dû éprouver quand son personnage de Spirou a été repris par Franquin. J'ai replié le journal, renoncé à m'y représenter, et tiré un trait dessus.

Outre Benjamin et Benjamine, J'avais dressé un liste d'endroits où je comptais me présenter avec mon carton à dessin sous le bras. Je commençai ma tournée. Il y avait les «petits formats», tels Aventures et Voyages, et puis Francs-Jeux, l'Invincible, etc.

Le moins qu'on puisse dire est que l'on ne m'y attendait pas avec impatience.

J'avais également noté l'adresse d'une agence que je ne connaissais pas, EDIFRANCE-EDIPRESSE, rue du Helder. … Passant à proximité, je me souviens que je m'y suis présenté au hasard pour essayer de décrocher plus tard un rendez-vous avec un responsable. Je précise même que j'étais gêné, parce que pas rasé (ça ne s'invente pas!). L'endroit est plutôt classe, avec une vaste entrée, fauteuils, tapis. Je me dis que je perds mon temps. Je sonne quand même. La porte s'ouvre et un homme de taille modeste vient m'ouvrir, avec un bon sourire. Quand je dis "bon sourire", je parle de son sourire de cette époque-là. Un sourire chaleureux, et rassurant, avec des fossettes. Un de ces sourires auxquels on ne résiste pas. On est tout de suite décontracté. En sécurité, quoi.

On se présente. Il s'appelle René Goscinny. On passe un quart d'heure dans son petit bureau. Quand je ressors, j'ai du boulot...

Il m'a demandé si j'étais intéressé par la reprise d'un strip : LILI MANNEQUIN, illustré par Will, qui, lui, voulait arrêter. J'ai dit oui tout de suite. On n'a pas échangé un seul mot à propos de Benjamin et Benjamine. Il aurait fallu me fendre la tête en deux pour que j'en parle. Peut-être qu'il a pensé que j'étais venu pour ça? Je ne peux pas le savoir, et ne le saurai jamais, car on n'en a JAMAIS parlé. Ni ce jour-là, ni plus tard. 

Le coup d'après, je n'ai pas pu m'empêcher de lui raconter que le dessinateur que j'admirais le plus au monde, que je portais aux nues, c'était UDERZO. Et, pour le lui prouver, je lui ai montré un dessin de "Belloy l'invincible", que j'avais tenté d'imiter quand j'avais 12 ou treize ans.

--Vous voulez le voir?

--Qui ça?

--Uderzo. 

Si je voulais le voir!

Goscinny s'est levé, à ouvert la porte de communication avec la pièce d'à côté:

--Albert, tu veux venir?

 

J'ai vu rentrer un jeune homme «de mon âge», mince, plutôt beau mec, faut le dire, et Goscinny lui a expliqué que j'étais l'un de ses admirateurs. Qui hors du métier, ne devaient pas être bien nombreux à ce moment de sa vie. Je vous rappelle que la BD, à cette époque-là, comptait plus d'adversaires que de thuriféraires. Et j'ai appris plus tard, par lui-même, qu'il tirait la langue...

Ce jour-là, Albert a regardé mon dessin sans le toucher, sans expression aucune, sans un mot, sinon je m'en souviendrais, puis a tourné les talons et est reparti à son travail. Le moins qu'on puisse dire est qu'il n'en avait rien à battre, d'un admirateur dans mon genre.

Il m'a fallu des années pour apprendre qu'il était très timide, plutôt modeste, et pas causant.

J'ai repris mon croquis misérable, tremblouillé à douze ans, et l'ai fait vite disparaître dans mon carton. Je me suis traité de tous les noms, convaincu d'avoir gaffé quelque part.

Goscinny m'a proposé de faire une histoire complète de deux pages sur ses textes pour son journal Pistolin.

J'ai dit oui - tu parles ! - et je suis reparti, les jambes flageolantes.

 

Uderzo, c'était l'auteur de Belloy l'Invincible, un personnage de super-héros hyper musclé, et j'avais fini par confondre le personnage et son auteur.

Tant et si bien que, gamin, j'avais cru une fois le croiser dans le métro, alors que je me trouvais à côté d'un culturiste manifeste, (authentique! Au point que j'avais été tenté de lui demander son nom, à celui-là, pensant que ça ne pouvait être qu'Uderzo. Hé oui! C'est véridique, gamin je voyais Uderzo dans le métro). Et voilà que, Uderzo, que j'admirais depuis que j'étais tout petit, avait donc mon… AVAIT MON ÂGE!

En vérité, un peu plus, mais ça n'en avait pas l'air.

Il y avait du miracle là-dessous.

En fait, non, aucun, seulement du talent à en revendre, une dextérité inouïe, naturelle, un don exceptionnel.

Il n'y a pas d'âge pour avoir du talent.

Il m'a fallu des années pour m'en remettre. 

Je vous raconterai la suite une prochaine fois, parce que, même encore maintenant, je ne suis pas tout à fait remis.

Il n'empêche que nous avons fait des choses ensemble, moi et Goscinny avec qui je m'entendais très bien, des publicités (une machine à laver), des illustrations, je ne sais plus trop quoi... c'est à la suite de ça que, quelques mois plus tard, je me retrouvai convié à participer à la première couverture du numéro 1 de Pilote, en la personne de Jacquot le Mousse...

 

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Entretemps, il y a eu Mai 68, et le journal de Pilote a changé de formule. 

Quand je réalise le Royaume d'Astap, nous sommes, grosso modo, un an et demi après tous ces chambardements.

Je ne me sens plus à l'aise dans ce journal, qui est devenu autre.

René Goscinny m'a proposé de prendre une double page hebdomadaire ouverte à tous les sujets, dans le même genre que celle des Dingodossiers. Mais ça ne me séduit pas.

Je décide de partir sans dire au-revoir à personne.

Et cette couverture, ci-dessus, celle qui annonce Le Royaume d'Astap, sera la dernière...

 

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Commentaires
C
Magnifique témoignage à une époque ou beaucoup pensent tout avoir appris à la sortie de leur premier album!
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D
Tout simplement, merci.
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Y
Formidable, M. Godard.<br /> <br /> Encore aujourd'hui, vous m'étonnez encore:<br /> <br /> C'est la meilleure chose que j'ai jamais lue sur Goscinny et/ou Uderzo!<br /> <br /> Bravo et merci.
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P
Bonsoir <br /> <br /> Et merci pour toutes ces anecdotes<br /> <br /> l'ambiance à Edipresse était elle aussi bonne qu'on peut le lire dans certains ouvrages .<br /> <br /> Avez vous eu l'occasion de travailler ou collaborer avec Lemoing et que dessinait il ?<br /> <br /> Avez vous fait partie des personnes à qui il donnait "de force" des leçons de judo?<br /> <br /> <br /> <br /> très cordialement
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F
Merci pour ce beau partage, émouvant comme le dit Mircéa, qui fait réfléchir sur nos rapports fantasmés et réels, sur tous ces petits moments anodins de la vie (comme cette "rencontre" dans le métro) qui restent marqués en nous à jamais (enfin jusqu'à la mort au moins ;) )<br /> <br /> Merci encore pour tout cela<br /> <br /> chaleureusement
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