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le blog insolite de Christian Godard
29 octobre 2013

Un 29 OCTOBRE...

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A Thierry Rogel,

Vous êtes professeur.

J'ai toujours eu une profonde reconnaissance pour ceux, comme vous, dont le métier, la passion, est de transmettre un peu de savoir, un peu d'intelligence, un peu du goût de comprendre. Grâce à mes profs à moi, à certains d'entre eux (j'ai quitté l'école à 16 ans), j'éprouve pour tous les enseignants une reconnaissance éperdue. Vraie. Nous avons eu un échange via FB, et je vous avais promis un texte présentable, pour vous éclairer sur le fond de mes méninges. Je ne sais pas s'il est présentable. Vous me le direz. Je vais donc vous livrer le fond de ma pensée au travers d'une anecdote, un souvenir ancien, mais qui n'a pas pris une ride. Qui m'a fabriqué durablement. Et qui vous éclairera mieux que n'importe quelle démonstration savante.

Voilà. Je vous raconte: j'ai 17 ans. Nous sommes un samedi. Un 29 octobre. Il est 10 heures du matin. J'ai rendez-vous avec deux de mes amis de l'époque à la station de métro Brochant à Paris. On a prévu de faire une balade. On ne la fera pas. Quand j'arrive près d'un marchand de journaux qui a suspendu certains d'entre eux à l'architecture extérieure de la station proprement dite, pour mettre bien en évidence les gros titres, ils annoncent quoi?

QUE MARCEL CERDAN EST MORT!

Dans un accident d'avion. Marcel Cerdan est mort!

Comme ça, brusquement, de but en blanc. Cerdan, c'est mon héros, le héros de mes 17 ans. Je l'admire comme je n'admirerais plus personne après lui. C'est un homme extraordinaire. Il est né dans l'un des quartiers les plus pauvres de Sidi-bel-Abbès en Algérie. Il était condamné à la pauvreté et à l'obscurité totale. Il n'avait rien à quoi se raccrocher, pour s'arracher ne serait-ce qu'un peu au destin auquel il est promis. Alors il a utilisé ses pauvres atouts, une force extradordinaire, une rapidité inouïe, une résistance à la douleur hors du commun. Il est devenu boxeur. Un boxeur d'une qualité exceptionnelle. Il ne le sait pas encore quand il commence à combattre, et là, le mot combattre est à prendre dans son acception la plus belle, la plus honorable, mais il gagnera presque tous ses combat par K.O. Il deviendra champion, de France, puis d'Europe, puis, depuis peu, du monde!!! Au sommet de l'admiration qu'on lui porte il est resté un homme profondément simple et doux. Oui, doux. Tout le monde le dit. Un homme d'une merveilleuse humanité, qui, hors du ring, ne ferait pas de mal à une mouche. C'est mon héros. Il n'avait rien. Il a tout gagné, la gloire, le respect, l'amour. Il faut avoir eu 17 ans à cette époque-là pour comprendre ce qu'il représentait de force, de réussite et d'humanité. Ce n'est pas un parcours de sportif, mais de légende. Là où il est, dans l'échelle de la notoriété, du respect, de l'admiration, on ne peut pas monter plus haut. Et puis il a rencontré Edith. La grande Edith Piaf. Qui est née dans la rue, elle aussi. Qui, comme lui, s'est hissée à la première place à force de talent et d'intelligence. Ils vivent tous les deux une véritable histoire d'amour. Edith proclame partout qu'elle a enfin rencontré l'homme de sa vie. Elle lui fait lire des livres. Il les lit. Il change. En bien. En mieux. Ils sont tous les deux au faîte de la gloire. On les admire, on les adule, ils resplendissent dans la lumière.. .

Quelques mois auparavant, il a été remporter le titre de champion du monde des poids moyens aux Etats-Unis. En battant Tony Zale, K.O. debout. Puis, il a remis son titre en jeu , devant Jake LaMotta. Un dur, dont on murmure qu'il est soutenu par la Mafia. Rudement bousculé, Cerdan en reprenant son équilibre, s'est blessé à l'épaule gauche, un muscle claqué. Alors il a continué le reste de son combat, avec un seul bras. Un seul bras. Il a tenu son adversaire à distance avec un seul bras. Bien sûr il a perdu, mais seulement aux points. Il est resté debout. Puis il est rentré, s'est soigné, a repris l'entraînement, et il retourne aux Etats-Unis pour reconquérir son titre. SON titre. Tout le monde en est persuadé. Tous les spécialistes sportifs en conviennent. Il ne pouvait se faire battre que sur blessure. LaMotta lui-même le reconnaîtra, beaucoup plus tard, vieux, devant les caméras. Cerdan était le meilleur. Il va gagner, reconquérir ce qui lui revient de droit. Il ne peut pas perdre. Il est tellement supérieur à tous ses adversaires. Il est séparé d'Edith, qui en souffre, et elle lui demande de prendre l'avion pour venir à elle plus vite. Il obéit et prend l'avion...

Et l'avion est détourné, et s'écrase au sol. Pas un seul passager n'en réchappera.

MARCEL CERDAN EST MORT. Lui, imbattable, indestructible, le plus vivant d'entre les vivants, mort.

J'ai 17 ans.

C'est pas juste.

Pour les Français, c'était un héros, ce qu'il avait accompli, il était le seul à pouvoir y parvenir. Aller arracher le titre aux Américains, chez les Américains, et à la Mafia!

Entre ce titre fabuleux, champion du monde, qu'il partait pour le reconquérir, qui lui revenait de droit, qu'est-ce que cet accident, cet avion qui ne devait pas s'écraser et qui pourtant s'était interposé entre la victoire et lui, était venu faire? Pourquoi?

J'ai 17 ans et je suis effondré. En larmes.

Cet événement n'a pas de sens.

Il faut que je me fasse à cette idée que la vie n'a pas de sens. Que le sort, le sort seul décide de ce qui va advenir ou pas. Que le hasard est le maître du monde, le seul qui soit, et que rien ne peut y faire pour le contrarier, quand il s'interpose sans raison entre l'homme et son destin, aveugle et sourd...

Qu'il ne sert à rien d'être un champion de légende.

Qu'un incident imprévisible peut décider d'abattre le champion le plus admirable qui soit comme on le fait d'une pichenette pour évacuer une miette sur la table.

Que rien ne vaut.

Dorénavant, je le sais.

C'est dur, à 17 ans.

Aujourd'hui, après tant de temps, je pense toujours à Marcel Cerdan, le plus beau des champions, et à son sourire merveilleux. Et à cette injustice implacable. Cette idée ne me quittera plus. Jamais. J'en verrai les conséquences maintes et maintes fois au cours de ma vie. Elles ne me surprendront plus comme elles le firent cette première fois-là. Et que j'en eus la révélation...

... Définitive.

Christian Godard

 

 

 

 

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Commentaires
B
Bonjour, Seinetmarnais, c'est vrai que ce serait un réel plaisir que de pouvoir s'y coller, si j'avais le temps... Un jour, peut-être... je ne manquerai pas de vous prévenir!<br /> <br /> Amitiés, <br /> <br /> Christian
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L
à quand 400 pages comme celle-là ? on a hâte.
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B
Exact.<br /> <br /> Ch.
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J
Trés beau.On revient tous de notre jeunesse.D'autres la racontent,la vivent,On ne s'en remet pas.Pour notre plus grand malheur;et bonheur.Du coup,Cerdan n'est toujours pas mort.
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B
Merci, Mariano. J'espère pouvoir t'intéresser encore longtemps.<br /> <br /> Amicalement à toi, Ch
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