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le blog insolite de Christian Godard
3 mars 2013

UNE PETITE HISTOIRE TOUJOURS VIVANTE...

En souvenir de

POMPON

 

J'avais prévu de vous raconter des moments révélateurs de ma vie, et le dessin ci-dessous en a fait remonter un à la surface, qui est parmi les plus anciens dont je me souvienne.

J'ai toujours voulu un chien. Toujours.

Je crois que, quand, pour la première fois de ma vie, sortant du ventre de ma mère, j'ai pu pousser un cri, ce cri voulait sûrement dire, j'en suis sûr: « Où est le chien? ».

Dès que, sachant à peine marcher, j'en voyais passer un dans la rue ou dans ma cour, je courais vers lui en tendant les bras, persuadé qu'il me connaissait. Cette particularité chez moi, quand j'essaie de l'analyser, me fait dire souvent que j'ai dû être chien dans une autre vie, ce qui décrit assez bien mon comportement d'enfant, bien ce ne soit qu'une image, évidemment.

Bien entendu, quand j'eus atteint l'âge approximatif de quatre-cinq ans, tous autour de moi savaient que «je voulais un chien!». Mon père, lui, qui ne désirait rien de particulier dans la vie, à part qu'on lui foute la paix, ne voulait rien entendre sur le sujet. Le hasard aidant, il se trouva qu'une concierge, proche de chez moi, avait une portée de chiots à donner. Juste à côté de chez elle, se trouvait un café avec une minuscule arrière boutique, grande comme un mouchoir de poche. La cafetière, Madame Junier, amie de la famille, m'y gardait le soir, en attendant le retour de mes parents. Ce soir là, la concierge entra dans la boutique, un chiot dans les bras, et interrogea les quelques clients présents pour savoir si l'un d'entre eux était disposé à l'adopter. Je ne sais pas comment je m'y suis pris mais, quand ma mère me récupéra un peu plus tard, j'avais le chiot dans les bras depuis plus d'une heure, et il n'était pas question qu'on me l'arrache. Elle tenta bien de me faire entendre raison, notamment en me parlant de mon père «qui risquait de le foutre par la fenêtre», mais peine perdue, je le tenais, je ne l'aurais lâché pour rien au monde...

On est donc rentrés avec le chien, qui roupillait dans mes bras. Il s'était complètement abandonné, tout chaud, totalement confiant, et déjà il faisait partie de moi. J'avais le sentiment d'être enfin «complet». Chose curieuse, mon père, ce fameux soir, avait épuisé toute son énergie à conduire un chantier à bonne fin, et y prêta à peine attention. Il me précisa que j'étais responsable de sa conduite, et que, à la première incartade, il retournait d'où il venait...

J'avais désormais une raison de vivre, encore que je n'avais pas encore appris à me dépens combien c'est fragile, une raison de vivre. J'avais décidé que la mienne s'appelait Pompon.

Bien entendu, Pompon n'était qu'on chiot qui découvrait le monde et avait besoin d'être éduqué pour vivre en société. Je n'avais pas l'âge de faire son éducation, la mienne venait à peine de commencer, et c'est un chapitre sur lequel je n'avais pas les compétences requises. Mes parents travaillaient tous les deux, partaient tôt, rentraient tard, et tous les jours Pompon découvrait l'ennui et la solitude, et faisait bêtise sur bêtise. Quand j'arrivais, il était trop tard, et Pompon s'était soulagé sous un meuble, avait trouvé un torchon pour se faire les dents, avait tiré sur la nappe qui pendait en faisant tomber le pot de fleurs du milieu de table, ou s'était payé une partie de pancrace avec la descente de lit. J'étais de corvée tous les soirs pour faire disparaître les preuves de son manque d'éducation. Mais le pire, c'était que, habitant en rez-de-chaussée, dès que la porte était ouverte, il s'échappait à la première occasion, traversait la cour comme une fusée et courait se réfugier chez la concierge d'où il venait, laquelle se trouvait à cent mètres de là, sur le même trottoir. Pendant plus de dix jours, je passai l'essentiel de mes soirées à lui cavaler après, pour le retrouver dans la loge de la brave femme, et le rapporter dans mes bras. Pendant dix jours, il ne pensa qu'à ça. Pendant dix jours, je dus cavaler derrière lui pour lui faire réintégrer son nouveau domicile. Pendant dix jours, je remportai cette victoire au moins une fois par jour, souvent deux... Pendant dix jours, exténué par la course, il consentit à dormir à la tête de mon lit, et à ce que moi je m'endorme avec ma main sur sa tête à lui.

Le onzième jour reste comme l'un des plus funestes de ma courte vie. Justement, mon père rentra plus tôt que d'habitude, comme par hasard. Et moi en même temps que lui. Ce fut pour trouver l'imperméable de mon père réduit en charpie sur le sol. Pendu au portemanteau, Pompon l'avait attrapé, tiré jusqu'à lui, déchiré à deux ou trois endroits, et, pour parfaire l'exploit, avait pissé et déféqué dessus. Une manière de protestation, je pense.

Je savais d'avance que la partie était perdue.

Ma mère rapporta le chien sans essayer d'obtenir le pardon du chef de famille. Elle savait que cela aurait été inutile. Mon père n'avait qu'un seul et unique imperméable.

Moi qui, pendant dix jours, avait dû courir après Pompon pour le récupérer, je sus que je ne le reverrais jamais. Cette constatation me foudroya sur place, au-delà de toute expression, et désorganisa instantanément mon fonctionnement intestinal. Je ressentis une douleur atroce au ventre et émis un chapelet de borborygmes. Comme j'ai eu précédemment l'occasion de vous le raconter, nous n'avions pas de toilettes à la maison. Et puis il faisait nuit déjà. Ma mère, prévoyante, m'installa sur mon petit pot d'enfant. J'y passait un bon bout de temps, plié en deux, bras m'encerclant le ventre pour atténuer la douleur, juste en face de la porte d'entrée. Il s'écoula une bonne demi-heure, pendant laquelle je sus ce qu'est un gros, un énorme chagrin. Je pensais à ma main que je ne pourrais pas mettre ce soir-là sur sa tête au moment de m'endormir. Je ne pleurais pas, j'étais trop chamboulé. J'émis encore deux ou trois borborygmes. Et puis, ma mère se tourna vers moi:

-- C'est toi qui fais ce bruit-là? 

Je n'eus pas le temps de répondre.

On grattait à la porte, avec une sorte d'acharnement. Ma mère alla ouvrir. Pompon entra comme un boulet de canon dans la pièce, et se précipita dans mes bras, tout droit. Pompon était de retour. Pendant dix jours, il n'avait cessé de nous faire comprendre qu'il ne voulait pas se séparer de la femme qui l'avait vu naître, et maintenant c'était de moi. Il ne voulait quitter personne, Pompon... Personne !

Mon père, qui venait d'arriver à la conclusion que son imperméable était irrécupérable, resta intraitable. On reconduisit Pompon, qui revint plusieurs fois, jusqu'à ce que la concierge lui trouve un autre maître, qui habitait trop loin pour qu'il retrouve le chemin, de l'un comme de l'autre.

Pompon sortit de ma vie. Et resta au creux de mes souvenirs les plus précieux, bien au chaud. A jamais. Il est toujours vivant, Pompon. D'autres chiens sont venus dormir à la tête de mon lit. Mais, à chaque fois que je posais ma main sur leurs têtes, c'était sur sa tête a lui.

Je dédie cette histoire vraie à Jacques Lamontagne (et au p'tit bonhomme), que je ne connais pas vraiment, mais dont pourtant je sais qu'il est mon ami.

 

°°°°°°°° 

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Commentaires
M
Très beau et émouvant ce vécu.<br /> <br /> <br /> <br /> A noter: le toutou a tué Cléopatre, c'est le Pompon<br /> <br /> et César fait son cabot !<br /> <br /> <br /> <br /> On peux imaginé que l'auteur est ainsi eu une attirance pour reprendre "Modeste et Pompon" même si dans la BD, Pompom est plutôt pom-pom girl et qu'elle a du chien !
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