JE NE SAIS PAS SI VOUS ÊTES AU COURANT, 3

....Mais moi, je me demande...

C'est pas pour dire, mais il y a des fois où on commence à chercher son chemin, à peine après avoir franchi le seuil de sa propre porte. Je sais pas pour vous, mais moi, oui. Tenez, un exemple pas plus tard qu'il y a deux jours. Voyez, c'est pas vieux. Je vais souvent avec mon pote Robert, pour faire nos courses du samedi. Celles qu'on fait pour toute la semaine qui vient. Il fut un temps pas si lointain où ça n'était pas nécessairement une corvée. Mais maintenant, ben oui. Je me souviens, quand j'ai choisi d'habiter à l'endroit où j'habite, j'avais été séduit par le fait qu'un grand supermarché se trouvait juste en face. On n'avait qu'à traverser la rue pour avoir tout sous la main.

Maintenant, quand je rentre dans ce supermarché, ça me rappelle mon régiment. Les militaires de mon époque n'avait qu'une idée en tête, une seule: qu'on soit alignés. « Je ne veux voir qu'une seule tête », qu'ils gueulaient sans arrêt. Sur le sujet, dans les supermarchés, tout est toujours super aligné, z'avez remarqué? C'est pas bon signe. Maintenant, c'est « je ne veux voir qu'une seule tête de gondole », c'est pareil. Bref! Quand on est arrivés à l'intérieur du supermarché, mon pote Robert a sorti sa liste, comme d'habitude.

--Tu comptes acheter quoi, j'ai demandé. 

--Ben, tout ça! (Il m'a déplié sa liste). Pour commencer, je voudrais des saucisses de Frankfort.. 

--T'es sérieux? 

--Tout ce qu'il y a de plus. J'ai passé des vacances à Frankfort, une fois. Sympas, les saucisses. Pourquoi? 

--Ça devait être il y a longtemps. Tu n'es pas au courant, pour la viande de boeuf qui n'est pas du boeuf mais du cheval malade? 

--Ben si, mais seulement dans les lasagnes, non? Quel rapport avec Frankfff... 

--Tu dis ça pour me faire marcher?

--Mais pas du tout. 

--Mais, mon pauvre vieux, comment tu peux savoir ce qu'il y a dans des saucisses de Frankfort? De la viande de quoi? C'est impossible. Ils y mettent ce – qu'ils veulent, en fait! Ils ont fait des analyses, les spécialistes de la surveillance de tout ça, et, dans la viande prétendument de boeuf , ils ont retrouvé de la viande de cochon, d'âne, de poulet …

--Du poulet dans les saucisses de Frankfort?

--Bien sûr. Dans les pilons de poulet, ils ont bien retrouvé du boeuf, alors, hein? Remarque, si tu veux du boeuf, tu peux en trouver, c'est sûr, mais pas forcément là où c'est marqué: « boeuf ».

--Bon, laisse tomber les saucisses. Il me faudrait aussi du pâté de canard...

Je n'ai pas pu m 'empêcher de pousser un gros soupir. Il n'avait pas l'air de comprendre.

--C'est pareil. Ça va être du pâté, d'accord, mais pas forcément du canard... 

--Ah bon? T'es sûr de ça? 

--Je suis sûr de rien. C'est le problème avec les étiquettes. Il faut que tu saches que ça ne veut rien dire, les étiquettes. Quand tu t'es marié, pour choisir ta femme, tu t'es fié à l'étiquette? 

--Non, bien sûr. Enfin, oui, un peu, elle prétendait avoir 25 ans, Janine. En fait, elle en avait 32, mais elle avait maquillé sa carte d'identité. Mal, du reste. 

--Ici, c'est pareil. Toutes les étiquettes sont maquillées. Enfin, suffit de changer des numéros, comme pour Janine.

--Bon. Il me faudrait aussi des tripes à la mode de Caen. 

--Holàlàaaa, c'est obligé? 

--Ben, j'ai passé des vacances à Caen, une fois. Pas terribles. Mais les tripes, chapeau! 

--Écoute, mon vieux, sache que, dans les usines de traitement de la viande, autrefois les abats, les viscères, les déchets, les nerfs, tout ça, ils les foutaient à la poubelle sous la table. Eh bien, tiens-toi bien... plus maintenant! 

--Plus maintenant?...Ah bon? Et qu'est-ce qu'ils en font, de toutes ces saloperies immangeables? 

--Ils les récupèrent, mon vieux! Les abats, les viscères, les déchets, les trucs qu'ont même pas de nom, tout ! Jusqu'au dernier bout de gras! Et ils en refont de la viande d'aspect normal, grâce à des colorants, des produits pour reproduire le goût, la consistance, l'odeur... Reste plus qu'à mettre une étiquette, genre Janine...

--Ça va laisse tomber les tripes. Il me faudrait aussi des boulettes...

--De... de viande? 

--Ben oui, mais qu'est-ce que tu veux que ce soit, des boulettes?

--Bah, des boulettes genre déchets divers, par exemple.

--Oh, toi, tu exagères toujours, alors... Bonjour les conseils!

--Ben justement. Question conseils, je vais t'en donner un. Figure-toi que, pour se donner bonne conscience, les types des contrôles sanitaires se sont mis à faire des analyses tous azimuts, et jusque dans des endroits où on les attendait pas... dans des tartes à la viande... Tu sais ce qu'ils y ont trouvé, dans des tartes à la viande? Je te le donne en mille? 

--Des tripes à la mode de Caen. Je veux dire, des déchets dégueulasses? 

--Non. Pire que ça. 

--C'est quoi, pire que ça? 

--C'est PAS DE VIANDE DU TOUT. Dans ces tartes à la viande, il n'y avait pas le moindre soupçon de viande, de protéine, quoi. C'était ...autre chose, ils cherchent à savoir quoi, du reste, et continuent leurs analyses... Mais ils sont perplexes.

Mon pote a fini part m'avouer que, tout compte fait, il n'avait plus faim. Il avait besoin de s'acheter un nouveau lampadaire, et on a décidé de reporter à plus tard les achats de nourriture, et on a fait un saut chez IKEA, pas loin de là. Il y avait, à l'intérieur du magasin de meubles, une petite brasserie, où on a mangé vite fait des choses, des machins, enrobés dans de la pâte. C'est comme ça que mon pote a attrapé un microbe fécal, et que, le soir, il a été transporté en urgence à l'hôpital pour une infection foudroyante.

J'ai été prendre de ses nouvelles hier, pensant qu'il allait bientôt sortir, vu que l'hôpital en question est très bien positionné au classement annuel de la revue médicale bien connue LE FIGARO. 

C'est là que j'ai appris qu'il avait attrapé en plus une maladie nosocomiale(1). 

Christian Godard 

1/maladie nosocomiale:infection contractée dans un établissement de santé.

Il va sans dire que tous les faits rapportés ci-dessus sont absolument authentiques.

Comments

[blogodard-ch]

Merci, Frédéric,

Nous sommes bien d'accord, et, avec Norbert, dès 1963, 5 ans avant mai 68, tout était dit, annoncé, prévu, tracé. Restait la fuite, ce qui a donné le sujet de la série.

Bien à vous,

Christian

[Frédéric]

Bon en fait faut il devenir végétarien (moi je m'en fous j'y suis déjà ;) ) ?

Même pas car les mêmes industriels-fonds-de-pensions mettront leur argent (en fait prendront de l'argent) dans les entreprises productrices de produits végétariens ! (c'est déjà un peu la cas, pas mal de "bio" vendu en grande surface ne vaut guère mieux que le non bio)

Alors quoi ? On arrête de manger ?

Je crois que nous avons surtout intérêt à redevenir humains ... dans nos échanges, arrêter les grandes surfaces qui coutent une fortune (en emplois, en précarité, en pollution avec les transports transnationaux) et retourner vers du petit local

Dans les années 70, légèrement après Norbert alors qu'on ne connaissait pas encore les décroissants (et que les croissants étaient fabriqués par des boulangers qui habitaient la même rue) on disait "Small Is Beautiful"

Aller une bise à Norbert